mardi 2 octobre 2012

Trémargat : appel des associations



PROSPECTIVE CITOYENNE à l'initiative de la Coordination Verte et Bleue 

Comment sortir la Bretagne du sous-développement environnemental ?
avec la participation d’un conseiller régional, d’un économiste, d’un syndicaliste agricole, d’un chercheur, d’un militant écologiste

Marées vertes sur les plages, algues bleues dans les eaux dormantes et les rivières, la Bretagne n'en finit pas de payer le lourd tribut que lui impose un modèle agricole intensif, accroc de mécanique et de chimie, pensé et construit voilà cinquante ans. Les plans de reconquête de la qualité de l'eau se multiplient depuis vingt ans déjà. Rien n'y fait ou si peu : quelques mg/l de nitrates en moins pour plus d'un milliard d'euros payés par la collectivité.

Alors comment s'en sortir ? Agriculture intensive et élevages hors sols peuvent-ils rimer avec eau pure ? Ce pari osé est intenable tant les exigences requises sont incompatibles avec les excédents de fertilisants produits. On plonge le monde agricole dans le désarroi en le soumettant à des injonctions contradictoires, produire toujours plus d’un côté, dégager moins de nitrates et de phosphore de l’autre.

Il faut penser un nouveau modèle économique en Bretagne pour réconcilier agriculture et environnement. Peut-on faire l’économie d’une baisse du nombre de têtes animales sur un territoire depuis longtemps saturé : 600 cochons au km2 en Côtes d’Armor pour 50 en France, soit 8 cochons pour un Breton sans compter veaux, vaches, poulets ? La plus-value doit être gagnée sur la qualité plus que sur la quantité. Comment alors imaginer des solutions qui soient acceptables par l'ensemble de la société ? 

C’est à Trémargat, en Côtes d’Armor, samedi 22 septembre que s’est tenue cette prospective citoyenne. Le choix du lieu ne doit rien au hasard. C’est là, voilà plus de 20 ans, que des pionniers ont inventé de nouvelles pratiques culturales. Grâce à eux, c’est la commune toute entière qui carbure à l’économie verte. Penser une nouvelle forme de développement économique qui ne conduise pas à un sous-développement environnemental passe par l’étape nécessaire de la refondation. Elle exige que soient redistribuées les valeurs, et que celle de l’argent n’écrase pas toutes les autres. ...  ...
Les valeurs éthiques d'abord. L'agriculture bretonne n' a aucune vocation à nourrir le monde. Donnons à tous les pays du monde les moyens de se nourrir plutôt que de le gaver de poulets bas de gamme importés et subventionnés qui ruinent la production locale. Contre ce productivisme qui n’a comme valeur que l’argent, la société doit penser qu'il n'est pas de croissance infinie dans un monde fini. Nous ne pouvons donc pas épuiser nos ressources, couvrir la terre de nos déchets, polluer les eaux en laissant ce monde dévasté à nos enfants. De surcroît, ce productivisme fabrique déjà à toutes les échelles de la société des inégalités criantes, dans lesquelles s'épanouit l'insolence des riches qui est un défi à la démocratie.

Les valeurs civiques ensuite. La République dit le droit quand les élus établissent des normes d'exploitation, en conformité aux décisions européennes. La loi s’impose alors à tous, et les contrevenants doivent être sanctionnés. Or aujourd'hui, comme les jugements des tribunaux l’ont attesté, ce modèle productiviste prospère aussi sur la fraude impunie. Les extensions de porcheries ou autres élevages sont régularisées habituellement par les préfets. 

La valeur économique enfin. Si la science économique s'attache à la vérité des prix, alors il faut veiller à ne pas établir des biais dans la valeur d'un bien produit, ici un bien agricole. La collectivité peut accorder des aides, mais conditionnées à des impératifs environnementaux. En ce sens, les techniques de traitement du lisier subventionnées ont un double coût pour la collectivité, financier d'abord, environnemental ensuite. Elles accentuent la perte d'humus sur les terres et donc leur lessivage. Elles encouragent l'augmentation de la production du bétail et en conséquence des cultures fourragères polluantes comme le maïs. Il faut que cessent cette externalisation et cette socialisation des pertes parce que l’eau des rivières, les arbres, les talus, les landes, les prairies ne valent rien économiquement. Alors de deux choses l’une. La vérité des prix passe aussi par l’attribution d’une valeur économique à tous ces biens collectifs. N’est-ce pas parce que l’eau de source de Plancoët a un coût qu’elle est protégée de toute pollution ? Ou, plus ambitieux, on les soustrait à la marchandisation, en les rendant inaliénables. Mais dans ce cas, quelle protection juridique inventer plus forte que celle qui protège l’eau et le littoral, et conciliable avec la propriété privée du sol, bien marchandisable ?
  
Après les valeurs, les actes pour les mettre en oeuvre. Pour cela, la puissance publique  a le devoir de s’inspirer d’expériences tentées ailleurs. L’une d’elles s’impose par sa réussite, Augsbourg en Allemagne. L’ensemble de la société y a accompagné la transition vers un nouveau modèle économique. L’agriculture n’est plus la chasse gardée de ceux qui en tirent seulement profit. C'est la ville qui a fixé la feuille de route avec comme condition une baisse drastique du nitrate et du phosphore dans l'eau de la rivière alimentant en eau potable les habitants. Sur la base du volontariat, elle a intéressé les exploitants aux résultats obtenus en valorisant les meilleurs, et en accordant des débouchés à leurs produits dans toutes les cantines. Cette politique a porté ses fruits puisque le taux de nitrate est passé de 44mg/l à moins de 6mg/l en une quinzaine d'années.

Pendant ce temps, tous les gouvernements successifs en France tournaient le dos à ces valeurs et à cet exemple. Ne faut-il pas y voir la main mise sur la politique agricole du syndicat majoritaire plus au service de financiers et de spéculateurs qu’à celui de ceux qu’il est censé défendre ? Et les échecs d’hier annoncent ceux de demain. Par crainte d’ébranler le dogme productiviste, les Plans Algues Vertes sont condamnés à creuser la dette publique pour des résultats insignifiants.

En conséquence de quoi, les associations et les citoyens réunis à Trémargat, demandent à Monsieur le Ministre de l'Agriculture de respecter ces valeurs pour lesquelles lui et le gouvernement auquel il appartient a été élu. Elles et ils lui adressent leurs doléances et leurs propositions. Elles et ils attendent qu’il y réponde pour que la Bretagne sorte d'un système agricole polluant qui produit marées vertes et algues bleues toxiques.
Coordination Verte et Bleue.